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Yo ! S’il y a une chose que j’adore dans le monde du divertissement, c’est la cohabitation constante entre de grandes sagas aux narrations filées pour tenir et les titres percutant par leur durée, en proie à une quête constante de synthèse et d’efficacité. Si les problématiques des uns peuvent s’appliquer aux autres, une certaine variété dans les expériences proposées ressort de cette richesse dans les modèles et les rythmes des œuvres créées. On retrouve cela dans le cadre des créations disponibles ici, avec une réjouissante asymétrie entre les épopées aux mille et un rebondissements et les quelques aventures se jouant en un nombre minutieux et réduit de situations, devenant alors si significatives. C’est d’une telle aventure que je vous propose de parler aujourd’hui, avec Ludu.
Ce petit jeu (prenez ce terme comme affectif) est arrivé quasiment d’un seul coup, lors de cette année 2013, et se trouve dans la droite lignée esthétique de son créateur, Léo. En effet, si le prolifique auteur s’essaie à de bien divers types de jeu – aventure avec Ludu, plateforme avec Espoir ou encore RPG avec Travelers of Time –, le dénommé Ludu s’inscrit dans un ensemble de quatre jeux en noir et blanc. Des univers et des traitements différents pour une esthétique de fond semblable, en somme. Mais voyons tout de suite ce qu’il en est de notre sujet.
Lorsque les mots se taisent
Pour un jeu d’aventure, je m’avancerais généralement avec un paragraphe récapitulatif de l’histoire, un schéma sur les relations entre les personnages et un tableur répertoriant les expressions les plus utilisées, par région. Sauf que, le traitement de Ludu étant ce qu’il est, tous ces points se révèlent relativement difficiles à expliciter, du moins de manière exhaustive. Pour résumer l’histoire de ce titre, disons que le joueur incarne le Protagoniste, une créature humanoïde vivant tranquillement dans une petite maison et qui, alors qu’il sort de chez lui, découvre un double « spirituel », ou tout du moins de couleur différente, de lui-même et décide de le poursuivre. En d’autres termes, une quête de compréhension menant à la découverte du monde.
S’ensuit la dite découverte, concernant aussi bien l’environnement du Protagoniste que ses codes. Rien ne passe par le mot dans Ludu. C’est simple, entre ça et le côté noir et blanc, on se voit dans l’héritage direct de Félix the Cat. Les différents « habitants » d’un monde totalement fantasmagorique communiquent par symboles, avec toute l’universalité que ceux-ci contiennent. Un autre mode de compréhension s’instaure. Plus intéressant encore, la réflexion du joueur se retrouve focalisée sur les objectifs donnés – les habitants ne parlant, visiblement, que pour dire qu’ils veulent quelque chose – et non sur des tournures de phrase ou des sens cachés.
Ce point est directement lié au rythme de progression que propose Ludu : simple, segmenté, point par point. Certaines phases jouent sur plusieurs plans d’objectifs, les plus petits se retrouvant étapes des plus grands, mais ces derniers sont toujours visibles et compréhensibles rapidement. Le joueur se retrouve dans une réflexion ciblée, propre. Néanmoins, même avec un mode de pensée bien aménagé, venir à bout d’un puzzle revient surtout à en comprendre le cheminement et la logique. Il y a, comme très souvent quand il s’agit de créer, un panel très varié de méthodes et de traitements à utiliser pour imprégner le joueur d’une habitude ou le guider. Ludu, lui, a choisi d’intriguer.
Le mouvement pour tout contraste
Peut-être – surement – la chance m’a-t-elle aidée dans ma progression. Malgré cela, je ne peux nier qu’elle a en partie été provoquée artificiellement par le jeu en lui-même, d’une manière plutôt naturelle et plaisante à suivre. Pour appréhender cette manière de fonctionner, il faut visualiser le monde de Ludu comme plutôt statique. Peu de choses bougent de manière significative et, pour les éléments concernés, on retrouve généralement des outils nécessaires à la progression du joueur. S’ensuit qu’une certaine logique s’instaure : le mouvement est synonyme d’utilitaire, d’aide.
Ce point de logique, instauré par la puissance du contraste, guide le joueur. Il n’est alors pas rare de voir une petite bestiole courir d’un bout à l’autre de l’écran, de la suivre et, finalement, de découvrir un outil aidant à la progression. Cette idée du contraste comme élément de guidage n’est pas rare ; le tout est de choisir le traitement le plus astucieux par rapport à son œuvre. Mirror’s Edge joue sur la couleur, avec son sens urbain qui teint certains objets en rouge dans un monde nacré, là où Alan Wake joue sur l’ombre et la lumière, élément raccord aux situations qu’il propose.
Pour Ludu, le contraste par le mouvement est l’occasion de guider le joueur sans dénaturer cette esthétique en noir et blanc décrite plus haut (tout était calculé !). On retrouve alors un point commun entre les cités Alan Wake, Mirro’s Edge et Ludu : le guidage par le contraste comme un moyen de lier la scénarisation d’un jeu (le contexte fictif du jeu, en d’autres termes la narration, aussi bien écrite que visuelle et sonore) à un besoin très formel (permettre au joueur de progresser naturellement dans le jeu). Et, là où la notion en elle-même peut être retrouvée dans ces trois jeux comme dans beaucoup d’autres, on note la quête d’homogénéité entre celle-ci et une intention de coller à un monde, à un ressenti chez le joueur.
Comme d’habitude, une foule d’autres points aurait pu être mis en avant dans cet article et, comme d’habitude, nous sommes libres d’en discuter en dehors. Ludu présente des choix intéressants et un univers enivrant, ouvert à autant de spéculations que le langage par l’image le permet. Une sorte de grand test de Rorschach où la réponse brute n’existe que dans le raisonnement et la progression, et où la réponse finale, elle, se veut évasive. Pour peu que vous soyez sensibles au contraste par le mouvement et que l’expérimentation présente un attrait naturel, l’expérience se passera sans accro (dans le pire des cas, il paraît qu’un playthrough a été fait).
Enfin, un dernier mot : guider le joueur n’est pas une option, mais un devoir. Même dans la génération d’un sentiment de perte de repères, un créateur se doit de savoir comment jouer le rôle du berger. Et, si le contraste vous a été présenté aujourd’hui comme un moyen de diriger naturellement la progression de l’utilisateur, un tas d’autres procédés et découvertes vous attendent. Aussi sûrement que vous aimez créer des jeux, aimez y considérer un joueur et son parcours.
Merci d’avoir lu tous ces mots, et probablement à bientôt.
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